Journaliste et réalisatrice, « engagée pour un monde meilleur », vous êtes un sérieux témoin de l’évolution de ce monde !
Que manque-t-il aux décisionnaires ?
Tout le système économique et politique qui s’est développé au cours du 20e siècle est basé sur le court terme. Les politiques prennent des mesures dont l’impact peut être visible dans le cadre de leur mandat. Il manque une vision holistique, globale, qui permette d’avoir la « big picture », c’est-à- dire de s’intéresser aux causes qui nous ont conduits dans cette impasse. Par exemple, détruire une forêt tropicale pour installer des monocultures de palmiers à huile, pour remplir nos réservoirs, ou de soja transgénique qui va nourrir les élevages intensifs européens, n’a pas d’impact sur nous dans l’immédiat et donc, aux générations futures de gérer ! Nous sommes sur une terre qui a des ressources finies et qui ne peut plus encaisser, ni les activités d’exploitation, ni les déchets que nous produisons. De nombreux scientifiques du monde entier revendiquent une nouvelle discipline, la « disease ecology » (écologie de la santé), permettant de relier la santé des écosystèmes, la santé des animaux sauvages et domestiques, et la santé des humains. Si on ne s’attaque pas aux causes qui nous ont conduits à cette impasse, si nous ne revoyons pas de toute urgence notre rapport à la nature, nous allons entrer dans une ère de confinement chronique. La destruction de cette diversité est la cause principale des « maladies infectieuses émergentes » apparues depuis une cinquantaine d’années : le Sida puis Ebola, des zoonoses, c’est- à-dire des maladies transmises à partir d’agents pathogènes qui viennent d’animaux sauvages vers les humains. Ensuite, le SARS en 2003 et la liste est longue. En 1970, l’OMS estimait qu’il y avait une maladie infectieuse tous les 10 à 15 ans, aujourd’hui, depuis 2000, c’est de 1 à 5 par an.
Des solutions ? Comment changer d’échelle ?
Je suis convaincue que pour sortir de cette impasse, il faut absolument placer l’écologie au cœur de toutes les politiques publiques. Il faut revoir tous nos logiciels et pour le moment, ce n’est pas facile. Mais on se rend compte aussi que dans l’histoire de l’humanité, les idées minoritaires un moment, sont devenues majoritaires grâce aux citoyens qui se sont bougés. Ce qui complique la tâche aujourd’hui, c’est l’ampleur des enjeux. Il faut faire comprendre aux gens la situation dramatique dans laquelle nous sommes mais tout en rendant désirable la société que l’on veut construire. Celle que nous appelons de nos vœux est désirable parce que nous vivrons bien mieux qu’aujourd’hui. Pauvreté, inégalités, inquiétudes, crises sanitaires… Nous connaissons les raisons, nous savons ce qu’il faut faire, s’attaquer de suite aux causes et revoir fondamentalement notre rapport à nous, les humains, au reste du monde du vivant, c’est la clé. Entre le problème climatique, les inondations, la sécheresse, il n’y a pas de fatalité dans tout ce qui arrive. On peut changer de cap, remettre de la cohérence dans ce grand désordre. C’est ce que j’explique dans mes conférences et ce discours parle aux gens qui sont de plus en plus nombreux à faire un lien entre l’alimentation, l’environnement et la qualité de la santé. Les solutions passent par le levier politique. Il faut des mesures qui encouragent les transitions. Nous en sommes loin…
Journaliste d’investigation, réalisatrice, autrice, réputée pour son travail rigoureux, Marie Monique Robin a parcouru le monde dénonçant les exactions faites aux êtres humains et à l’environnement. À son actif, plus d’une quarantaine de films et une trentaine de prix dont le prix Albert-Londres pour Voleurs d’organes en 1995 et le prix Rachel Carson en 2009 pour Le monde selon Monsanto. La Fabrique des pandémies est son dernier essai (2021).