Qu’est-ce qui a déclenché votre intérêt pour les impacts environnementaux de vos pratiques ?
En 2018, je me suis rendu compte que la problématique environnementale en chirurgie était très peu prise en compte. Nous pensions que la santé primait sur l’environnement. A contrario, dans ma vie quotidienne j’avais intégré de nombreux gestes en faveur de la préservation de la planète. Lorsque nous opérons, nous constatons les montagnes de déchets que le bloc opératoire produit ; ces déchets ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Avec le professeur Antoine Brezin, chef du service ophtalmologie à l’Hôpital Cochin où je travaillais alors, nous avons décidé de faire le bilan carbone d’une chirurgie de la cataracte en décomposant toutes les étapes d’émissions de gaz à effet de serre.
Nous avons choisi la cataracte car c’est une chirurgie hyper standardisée pour laquelle les risques infectieux, la cicatrisation et la rapidité de récupération ont été résolus. De plus, communiquer auprès de l’ensemble des chirurgiens ophtalmologues est relativement aisé car nous ne sommes que 3 000 en France. Cette intervention réalisée près de 1 million de fois par an sur notre territoire nous apparaissait comme un excellent levier d’action.
Comment avez-vous évalué l’empreinte carbone d’une cataracte ?
J’ai remonté la chaîne des émissions de gaz à effet de serre du matériel, des produits utilisés mais aussi des bâtiments, le transport du patient et du personnel ainsi que de la stérilisation du matériel.
Le bilan carbone d’une opération de la cataracte s’élève pour chaque œil opéré à 80 kg de CO2 et 2,8 kg de déchets.
Les produits utilisés proviennent de 13 pays différents et parcourent 83 000 km soit deux tours du monde. Il y a des incohérences d’approvisionnement, résultat d’une mondialisation irréfléchie, puisque par exemple l’eau utilisée provient de la Californie, état américain semi désertique, et est acheminée par avion vers les Pays-Bas puis en camion pour rejoindre les dépôts en France.
En 2019, avec les chirurgiens ophtalmologistes, Florence Hoogewoud de l’Hôpital Jules Gonin à Lausanne (Suisse) et Raphaël Thouvenin qui exerce comme moi à la Clinique de l’Union à Toulouse, nous avons créé l‘association Greencataract.
Quel est l’objectif de Greencataract ?
Notre objectif initial était de compenser les émissions de CO2 mais en nous informant nous avons compris qu’il est plus judicieux de s’orienter vers l’éco-conception des soins. Ainsi, nous avons organisé avec la Fabrique des santés des ateliers participatifs de réflexion afin de rassembler chirurgiens mais aussi industriels, ingénieurs, médecins autour de cette idée. Nous avons créé une communauté et un espace d’échange ouvert ayant pour objectifs : la publication de bonnes pratiques chirurgicales environnementales destinée aux ophtalmologistes, la réalisation de bilans carbone du matériel chirurgical par les industriels partenaires et la réalisation d’une enquête nationale auprès des ophtalmologistes pour évaluer leurs pratiques actuelles en termes d’émission de CO2 eq. Nous travaillons aussi à la rédaction d’articles scientifiques indispensables à la validation de nos recherches. Nous espérons que nos bonnes pratiques chirurgicales seront relayées par la Société française d’ophtalmologie afin d’aider nos confrères à leur mise en place.
Il est primordial que les industriels adhèrent à notre démarche et fassent le travail nécessaire en amont sur leurs offres de produits.
Nous avons dans nos ateliers Greencataract différents industriels qui se sont engagés à la réalisation du bilan carbone du matériel chirurgical à usage unique qu’ils produisent. C’est déjà une avancée.
De plus, les jeunes internes sont particulièrement réceptifs et le personnel déjà sensibilisé aux enjeux de la protection de la planète adhère rapidement à ces nouvelles pratiques. Les directeurs d’établissement reconnaissent que souvent l’éco-conception des soins rime à terme avec économie. De plus, j’ai encadré cette année la thèse d’un interne sur le bilan carbone des injections intravitréennes, utilisées pour le traitement de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge). En France, entre 600 et 700 000 injections de ce type sont pratiquées par an. En 2014, c’était l’une des plus grosses dépenses de santé parce que c’était une révolution thérapeutique. Ces injections permettent à des patients malvoyants de récupérer et/ou conserver leur vue mais elles sont aussi source d’émission de CO2. Pour ce type d’intervention, il est aussi nécessaire d’associer les industriels afin de réduire l’empreinte carbone des centres de soins, cliniques ou hôpitaux.